Top musical de l’équipe de l’Oreille Cassée #4
Spécial Chanson Française
Renaud / Marche à l’ombre
En 1980, j’ai tout juste l’âge de raison quand on m’offre mon premier magnétophone avec la cassette dudit album, le meilleur pour moi à ce jour dans la discographie du chanteur énervant (et ça ne risque pas de changer…). J’use la bande magnétique face A et face B après une multitude d’écoutes, m’imprègne de ces personnages et de leurs histoires touchantes, et plonge la tête la première dans l’humeur révoltée du poète, en attendant la deuxième déflagration…
La teigne : https://www.youtube.com/watch?v=_glzMXmeUfc
Bérurier Noir / Macadam Massacre
Quelques années plus tard, en colo, un pote me glisse dans le walkman le premier opus des bérus … C’est sec, ça froisse, ça hurle…
Dès mon retour, je cours chez le disquaire du coin et m’achète le vinyle, qui ne quittera pas la platine pendant longtemps. Voilà comment j’atterris dans le chaudron bouillonnant du rock alternatif, avec dans la foulée la découverte du groupe sur scène : premier concert debout, bien avant le confinement, et premier pogo !
Noir les horreurs : https://www.youtube.com/watch?v=aybbI-vqsug
OTH / Sauvagerie
De cette période prolixe que furent les années 80, bâtissant dans l’hexagone une contre-culture foisonnante sur les ruines du punk ou du reggae, bien loin du top 50 imposé sur les ondes, de nombreux groupes émergent, avec plus ou moins de talent. S’il en est un à retenir, pour sa musique rageuse autant que pour ses textes, c’est bien OTH : une bande de furieux montpelliérains dont la sauvagerie du titre phare représente assez bien celle de leurs prestations scéniques.
Quand on a que la haine : https://www.youtube.com/watch?v=muOxV-yfOus
Thiéfaine / Autorisation de délirer
Un album indispensable pour les amateurs de poésie sonore.
Le frère d’un copain de lycée me fait découvrir Thiéfaine alors que je ne jure à cette période que par le punk rock et ses multiples dérivés (ou dérives…). Moi qui refusais d’écouter comme mes parents Ferrat, Gainsbourg ou Barbara (je récupérerai leurs disques quelques années plus tard quand ils passeront au CD), me voilà converti à la chanson ! Dès la première écoute, c’est la claque absolue… Ce deuxième album d’Hubert-Félix est un diamant brut, du premier morceau surréaliste « La vierge au dodge 51 », à l’épilogue nihiliste « Alligators 427 » : l’artiste aime les chiffres, mais ce sont ses mots qui résonnent à l’infini dans la tête de tout auditeur sensible.
Alligators 427 : https://www.youtube.com/watch?v=c2WlRN9z5go
Noir Désir / Du ciment sous les plaines
Si l’on apprécie la poésie autant que le rock, on apprécie Noir Désir, on aime Noir Désir, on kiffe Noir Désir, on adule Noir Désir. Leur troisième opus, souvent le moins connu et parfois controversé, contient quelques pépites parmi les plus belles de la chanson hexagonale : « Tout l’or », « Charlie », « Les oriflammes » … « En route pour la joie » … je les vois en concert pour la première fois lors de cette tournée, et bien entendu, c’est une nouvelle révélation. Le partage, sans artifice, c’est évidemment dans les salles obscures qu’on le ressent avec tous ces artistes, surtout pas sur je ne sais quelle plate-forme ou application. Non numérisés, non formatés, non virtualisés, juste vivants !
Tout l’or : https://www.youtube.com/watch?v=5FAkXw7EpYM
Ferré / Amour Anarchie
Dès lors qu’on a croisé Thiéfaine ou Noir Désir, on arrive un jour, parfois longtemps après, au plus grand de tous : Léo Ferré.
Que dire de ce créateur, de cette créature ? Le titre de ce double album rescellant ses plus beaux textes à mon goût résume à lui seul toute la magnificence de l’œuvre. A lire et à écouter d’urgence en ces temps d’errance et de résignation.
La mémoire et la mer : https://www.youtube.com/watch?v=uGbSYohHcio
Les Têtes Raides / Les oiseaux
Venus du punk et après deux albums résolument rock, les Têtes Raides basculent eux aussi à l’âge adulte dans un style moins tonitruant avec « Les Oiseaux », dont les envolées musicales comme littéraires sont le reflet d’un incontestable talent et le présage d’une vitalité et d’une longévité artistique sans concession. Le punk, c’est quelques riffs de guitare bien amplifiés, mais aussi une attitude, un esprit, et le refus des carcans. C’est la liberté.
Les Têtes Raides sont punk ! Les Têtes raides sont libres ! Et leurs chansons sont sublimes !
Luna : https://www.youtube.com/watch?v=Ok-3wzSQnIs
Mano Solo / La marmaille nue
Encore un écorché vif, encore un de ceux qui ne lâchent rien après la fin du mouvement alternatif avalé par la marchandisation.
Dès la première note, cet album m’arrache les tripes et je ne m’en remettrai que beaucoup plus tard, après avoir digérer une écoute en boucle de plusieurs semaines. L’amour et l’anarchie, si chères à Ferré et à tous ceux déjà cités, sont exprimées ici avec la plus belle des violences, celle d’un révolté, d’un utopiste, d’un éternel combattant.
Un combat contre la bêtise, avec comme seule arme une voix et des mots aiguisés comme le sabre d’un pirate, à l’abordage d’une société malade.
Chacun sa peine : https://www.youtube.com/watch?v=EAq3jHaQf4A
Brigitte Fontaine / Genre Humain
Enfin une femme dans cette sélection bien sûr très subjective ! Elles sont pourtant nombreuses dans ma discothèque : Barbara, Juliettes (Gréco, évidemment, et Nourredine), Francesca Solleville, Catherine Ribeiro, Colette Magny, Yoanna, Lola Lafon, Casey, Keny Arkana, La Gale, et tant d’autres…
Brigitte Fontaine est de celles dont la personnalité et les chansons surprennent immédiatement le mélomane en quête de poésie et ne le quitte plus, l’accompagnant à chaque écoute vers de nouveaux horizons, de nouvelles ouvertures, de nouvelles libertés. La sincérité et la beauté pure de l’âme ! Genre « humaine », genre « humain », comme cet album ayant donné à l’immense artiste la notoriété publique qu’on lui connait après une longue période d’activisme musical plus confidentiel. Rien que pour le titre d’ouverture (« La femme à barbe »), il reste indispensable.
La femme à barbe : https://www.youtube.com/watch?v=Tetxj8hT_84
Spoke Orkestra / N’existe pas
Etant de nature curieuse et aimant toutes les musiques, quelles qu’en soient les esthétiques, j’ai écouté très tôt du rap, qui dès le début des 90’s, apportait enfin à la jeunesse française un souffle retrouvé, une bouffée d’oxygène au milieu des niaiseries assénées par les radios, quand le rock indépendant débutait sa lente agonie. Face à la léthargie dominante, il fallait bien qu’un nouveau mouvement générationnel s’empare du micro, de la rue et des murs pour s’exprimer. Danseurs, graffeurs, DJs et MCs ont fait le boulot ! Une fois encore, la poésie n’a pas été en reste.
Du rap au slam et du slam au rock, tout cela s’est peu à peu renouvelé avec toujours la même authenticité et la même liberté. Spoke Orkestra fait partie de ces artistes balayant les frontières et fabriquant un langage bien à eux, identifiable entre mille.
Leur second album (qui remonte quand même à 2007, avant l’arrivée de l’auto-tune … ou de l’auto-thune, selon les expériences et envies de chaque petit malin voulant se la donner aujourd’hui), leur dernier album donc (chaque membre du collectif ayant poursuivi depuis ses pérégrinations artistiques au hasard de futures rencontres), ce nécessaire album, dis-je, reste un brûlot magistral, intemporel et inégalé dans le chaos du Hip Hop français.
Si un punk c’est ça : https://www.youtube.com/watch?v=sgA3ZuaMD8I
Par Arnaud Canoville,
directeur de l’Oreille Cassée