Les coulisses du groupe post-metal Përl
Le groupe de post-métal Përl fait une entrée fracassante à l’Oreille Cassée pour un concert metal le 26 janvier en compagnie du groupe Palmyre. C’est lors d’un jour de résidence se déroulant avant le grand événement que #NoComment a eu l’occasion de les interviewer.
Une voix puissante envahit tout la MJC l’Oreille Cassée. Lorsque nous poussons les portes de la salle de concert, Përl est déjà sur scène en train de s’échauffer. Ce n’est même pas encore le jour J et pourtant, une énergie phénoménale semble irradier de ce trio. Paradoxalement, tout semble bien ordonné, de la salle jusque sur scène ; l’énergie n’est pas synonyme de désordre pour un groupe qui sait ce qu’il fait depuis 15 ans maintenant. La résidence semblant se profiler sous de bonnes augures, #NoComment en profite alors pour s’asseoir au comptoir du bar de la MJC en leur compagnie. L’atmosphère est sereine. Le concert du 26 janvier promet d’être mouvementé mais toujours maitrisé !
Pouvez-vous présenter votre groupe ?
Thibault — Le groupe a été créé en novembre 2008. Ça fait déjà 15 ans qu’on joue ensemble. Avec Bastien, on se connaissait déjà d’avant, d’un ancien groupe qui s’appelait Ombrage. C’était toujours dans le métal mais plus symphonique et progressif.
Bastien — Thibault est batteur-percussionniste, Aline est guitariste-chanteuse et moi, je suis bassiste.
Vous faites du « post-métal », quelle est la différence avec le metal classique ?
Thibault — Le post-metal est compliqué à expliquer (rires). Si vous avez des idées pour mieux
expliquer l’étiquette, n’hésitez pas hein !
Aline — C’est l’utilisation des standards du métal en ajoutant des nouveautés, c’est-à-dire que tu vas retrouver des composantes en terme d’instruments que tu trouves dans la plupart des groupes de métal, comme du chant saturé ou de la guitare, sauf que le post métal en fait une utilisation différente. Il va utiliser quelques types d’accords différents ou des constructions de morceaux différentes. Y’a une manière de jouer où t’auras moins des accords et des rythmes « heavy » à l’ancienne.
Tu peux utiliser des techniques instrumentales qui changent comme nous, on a un bassiste qui joue de l’ampli basse sur une guitare.. Soit ça va être des trucs un peu plus modernes soit des mélanges revisités.
En gros, voilà, c’est une évolution d’un genre de métal vers quelque chose d’un peu plus moderne qui utilise les recettes du métal en les modifiant.
Thibault — Chaque musique a ses codes, le métal a plein de codes différents selon les genres/sous- genres. Le post-metal tente de s’en éloigner. Après, c’est un peu comme à une époque où y’a eu le rock progressif. Il a apporté de nouvelles choses au niveau des structures comme Pink Floyd ou Yes.
Pourquoi ce lien constant avec la nature ? Comment cette inspiration vous est-elle venue ?
Aline — C’est un sujet qui nous touche pas mal. Dans l’écriture des textes, j’avais envie d’aborder le thème de l’Homme avec le vivant, avec la nature. Y’a ce côté « l’homme pense tout contrôler, avoir le pouvoir sur la nature, sur les animaux » mais quelque part—attention, c’est une approche un peu négative du rapport humain-nature, j’ai tendance à penser que la nature et le sauvage finiront toujours par reprendre leur droit. D’ailleurs la planète nous le montre actuellement, elle reprend ses droits. L’homme peut continuer à gaspiller, c’est quand même elle qui finira par avoir le dernier mot—malheureusement ou heureusement, j’en sais rien.
Voilà, je voulais aborder le rapport à l’animal aussi et montrer qu’entre l’homme et l’animal, y’a pas tant de différences que ça, y’a des espaces où on se retrouve.
Comment se déroule votre processus créatif pour écrire de nouveaux morceaux ?
Bastien — C’est comme ce qu’on est en train de faire en ce moment. En général, on crée des morceaux en jammant ensemble. On vient rarement avec des bouts de morceaux à la base, que ce soit des bouts de morceaux à la batterie ou à la guitare. On fait la musique en premier, on joue ensemble, après les textes viennent par dessus et le chant arrive à la fin. Ça nous est arrivé de temps en temps de démarrer du texte mais ça reste assez rare.
Par conséquent, il n’y a pas une seule personne qui prend le pas dans la création d’un morceau ?
Thibault — On est tous compositeurs de nos parties en fait. Mine de rien, chacun apporte ses idées. J’ai pas vraiment senti qu’il y avait un lead au niveau de la compo’. C’est une harmonisation de trois cerveaux différents (rires).
Bastien — Les paroles, en revanche, ça vient exclusivement d’Aline.
Comment on prépare, voire protège sa voix pour des performances vocales comme Je parle au sauvage ou L’(h)être balafré ?
Aline — Y’a plusieurs aspects. Déjà, il y a une hygiène de vie. Il y a un peu cette image dans le métal du gars ou de la nana avec son blouson en cuir qui boit du whisky (rires) et qui arrive à son concert en mode : « je vais brailler et tout va bien se passer ». Alors ça, dans les faits, ça ne marche pas beaucoup. Il peut y en avoir pas mal qui le font encore mais en général, au bout de quelques années, ça fait des dégâts. Donc hygiène de vie, obligé ! Avant les concerts ou les studios, il faut beaucoup dormir et boire beaucoup d’eau. Il faut manger sainement aussi. Mais surtout, il faut bien s’échauffer.
L’échauffement, c’est hyper important. On voit souvent des chanteurs ou des chanteuses qui montent sur scène sans ça et je pense que c’est une grosse erreur. Il faut s’échauffer la voix. Les cordes vocales c’est exactement comme les muscles d’un sportif en fait. D’ailleurs, c’est un muscle, c’est un organe, donc ça s’entraine pareil ! Il faut de l’entrainement, de l’échauffement, de l’étirement. Ça se travaille.
Avant les concerts en général, à peu près 40 minutes avant, je fais des exercices de voix dans ma loge pour pouvoir la chauffer.
Après, c’est aussi de l’apprentissage. On peut essayer d’apprendre le chant saturé tout seul mais en général, on finit vite par se faire mal sauf si on arrive à trouver tout seul une technique qui fonctionne. Moi, je suis passée par quelques cours pour pouvoir développer ça et être sûre de pas me blesser la voix. Tout comme du chant clair, le chant saturé se travaille. D’ailleurs, on a souvent l’impression que ce sont deux choses différentes mais en vérité quand tu creuses un peu le truc, tu te rends comptes que si tu ne sais pas chanter en clair, tu ne sauras pas chanter en saturé. Les deux sont étroitement corrélés.
C’est comme apprendre à jouer d’un instrument, le chant saturé. Ça prend un peu de temps mais si tu es bien guidé, que tu as un bon prof’, c’est possible. Il faut juste être patient parce que tu ne chantes pas saturé en deux mois.
Thibault — Ce qui est assez drôle, c’est que je me suis fait la réflexion avec d’autres musiciens ici. On s’est rendus compte que l’hygiène de vie des musiciens a sacrément évolué. Aujourd’hui, ils sont moins tentés par les excès en tout genre type alcool et drogue parce qu’on sait que ça a tué Jimi Hendrix, Janis Joplin… assez jeunes en plus. Ça a marqué ! On a plein de musiciens de l’ancienne génération— je parle de mon point de vue à la batterie, comme Phil Collins qui a des gros problèmes de dos, qui est en chaise roulante aujourd’hui parce qu’il ne faisait pas attention à sa posture sur scène. Il est presque sourd aussi parce qu’ils ne portaient pas de bouchons à l’époque.
Finalement, petit à petit, on en vient à des hygiènes de vie beaucoup plus saines au niveau de nos musiques ; que ça soit auditivement, vocalement ou encore de la consommation de stupéfiants et autres. Je pense que les générations d’avant ont payé les frais de pas mal d’excès. Les groupes qui durent sont finalement ceux qui ont arrêté au plus tôt ces excès comme Deep Purple par exemple. Donc voilà, y’a pas forcément de hasard !
Qu’est-ce que vous voulez transmettre avec votre musique ?
Thibault — Je ne sais pas si on peut répondre collectivement à cette question. On répond individuellement ?
Aline et Bastien — Oui, allez ! Ça marche !
Thibault — Moi, j’aime bien le côté introspectif ; le fait que des gens puissent trouver leurs propres marques sur un texte, le réinterpréter comme ils veulent. Si en plus ils peuvent en sortir une sorte de force, de positivité à l’arrivée, je trouve ça bien. Il y a quelques années, on avait reçu une chroniqueuse d’un webzine. Elle nous avait dit que notre premier album, dont les textes étaient quand même assez sombres, l’avait aidée à surmonter une période de dépression. Ça m’a beaucoup marquée. Si avec la musique, les gens peuvent se sentir un petit peu mieux, tant mieux !
Aline — D’un point de vue textuel et chant, j’ai envie de dire que j’ai envie de mettre le focus sur des éléments que les gens ne verraient peut-être pas habituellement. J’ai envie de faire une sorte de zoom sur des choses auxquelles on n’a pas accès au premier abord.
Effectivement, y’a un côté un peu contemplatif. J’ai tendance à penser qu’on regarde pas assez certaines choses, qu’on ne regarde pas assez certaines émotions. J’aime bien mettre en lumière des éléments que dans le quotidien on peut mettre de côté. Ça peut être des choses très concrètes comme la nature dont on a parlé, comme elles peuvent être plus abstraites et contemplatives ; par exemple, un endroit qu’on va trouver beau. Sur notre deuxième album, certains monuments ou certains sites sont mis en valeur comme la chaine de l’Himalaya. Pour moi, ce sont des choses qui font partie des beautés du monde et sur lesquelles on ne s’arrête pas assez. Pourtant, elles méritent d’être regardées. Ce sont des moments que je trouve importants parce qu’on a un peu l’impression d’être touché par la grâce parfois ; ils sont importants à vivre et à ressentir, d’autant plus dans la société actuelle.
Après musicalement, c’est sans doute aussi pour ça que j’aime autant le metal. C’est la puissance et la force quoi ! Il y a une énergie, une puissance dans ce genre de musique qui est très porteuse et fédératrice. Je veux que les gens puissent ressentir ça aussi et leur envoyer cette décharge de puissance.
Bastien — De manière intéressante, même si on focalise pas mal sur les textes — parce qu’ils sont chantés en français — on a eu également beaucoup de retours de gens qui ne sont pas francophones et qui malgré tout écoutent notre musique et y trouvent ce qu’ils cherchent.
Y’a aussi quelque chose juste dans la musique, les notes, les harmonies, le rythme, qui fait que des gens d’un peu partout apprécient particulièrement ce qu’on fait. Je pense que ça nous pousse. À partir du moment où on a des retours avec des gens qui nous disent : « J’aime bien ce que vous faites », on a aussi ce truc de l’artiste qui dit : « je vais continuer à travailler pour que ces personnes puissent découvrir plus et que d’autres encore nous découvrent ».
Vous avez un concert à la MJC l’Oreille Cassée en janvier alors sur quoi le groupe se concentre-t-il pendant cette résidence ?
Thibault — Alors là c’est la concentration du futur album, on travaille beaucoup dessus.
Aline — Ouais, il faut qu’on prépare le prochain album, qu’on crée des nouveaux morceaux donc on est quand même pas mal là-dessus pour l’instant.
Concernant votre prochain album, qu’est-ce qui est prévu exactement ?
Bastien — On prévoit de l’enregistrer en juin-juillet. Ça veut dire qu’il faut qu’on ait 7-8 titres prêts d’ici-là. On est bien avancés, on a des squelettes de morceaux où on est à peu près sûrs de comment ça commence et de comment ça finit. On en a environ 5-6, en comptant une reprise. Là, on est plutôt sur la phase où on commence à fignoler, à rajouter le chant, travailler le texte. On est donc focalisé sur la préparation de l’album (et faire quelques concerts au milieu) en ce moment !
Pourquoi performer en concert, ici, à la MJC l’Oreille Cassée ? Est-ce que vous avez un lien particulier avec elle ?
Thibault — Bah… je bosse ici. (rires)
Aline — Y’a plein de choses ! Je trouve que c’est important de jouer sur des MJC parce que c’est des lieux culturels importants, des lieux qui font vivre, qui font beaucoup d’activités auprès des gens d’une ville. Ce sont des lieux sociaux aussi, des lieux qui ont besoin d’animation. Ça permet probablement à des jeunes — ou des moins jeunes d’ailleurs, qui habitent dans le coin et qui sont un peu en manque de concerts de métal ou de rock, d’accéder à un concert pour pas trop cher sans aller à Paris… au lieu de se taper 1h30 de transports. Ça permet de maintenir une activité culturelle aussi dans des villes plus éloignées de la capitale ou de grosses villes.
Pendant très longtemps, Përl a beaucoup travaillé et répété dans le 77. Toute l’agglomération Melun, Val-de-Seine et puis les villes qui gravitent autour sont des coins qu’on a beaucoup sillonnés. On connait du monde ici et y’a un petit attachement historique quoi…(rires).
Thibault — Non mais c’est vrai que ouais ! On a un peu une proximité avec les MJC, comme disait Aline, parce que justement on a commencé à répéter au Mée-sur-Seine, au Chaudron. A cette époque-là déjà, on a vu comment ça fonctionnait et je pense que ça nous convient bien comme genre de lieu !
Aline — C’est des lieux importants, hein ! C’est terrible parce qu’il y en a de plus en plus qui ferment. Puis les studios de musique, ça coûte très cher donc quand tu peux répéter dans ce genre de lieu avec des tarifs pour les gens qui vivent dans le coin, c’est toujours bien.
Nous, c’est des structures dont a beaucoup profité aussi. On a été soutenu. Quand on était au Chaudron, on a fait nos premiers tests d’enregistrement là-bas et nos premiers concerts aussi. Ce sont des vrais tremplins, en fait ! Donc c’est toujours cool d’y revenir après, quand on est un peu plus grands quoi ! (Rires)
Thibault — En plus, tu rencontres du monde aussi. Dans une MJC, récemment, ils ont eu l’idée de faire un concert métal et de le mélanger avec un spectacle de danse en même temps. Ils mettaient donc en lien l’atelier danse de la MJC avec ces trois groupes qui jouaient le soir. Ça c’est le genre de concept que t’aurais du mal à retrouver sur une scène de concert « normale ».
Quelle est votre plus grosse difficulté quand vous jouez en live ?
Thibault — Déjà… trouver les concerts (rires) ! C’est ce qu’il y a de plus dur.
Aline — Ouais, c’est compliqué.
Bastien — Avec l’expérience, ça devient assez… on est à l’aise maintenant. On joue tous les trois avec un guitariste supplémentaire et ça fait déjà pas mal de concerts qu’on fait ensemble donc en général, on fait quelques répètes avant le concert pour se remettre les morceaux dans les doigts puis c’est parti !
Je dirais qu’on a plus de vraies difficultés à jouer en concert. Après faut toujours faire attention, faut travailler le truc et pas se laisser aller mais c’est plus une partie si compliquée.
Aline — Là où ça demande le plus de boulot c’est quand, par exemple, on a des nouveaux morceaux qui entrent en jeu. On tourne encore sur les morceaux de l’ancien album actuellement donc à force de faire des concerts, on commence à jouer avec plus de facilité.
Il va y avoir plus de travail sur les prochains morceaux qu’on a commencé à travailler. Comme ils seront nouveaux et intégrés au playlist live, il faudra les avoir plus dans les doigts et travailler quelques points un peu techniques. Mais c’est vrai que le groupe a maintenant 15 ans, on a l’habitude de jouer ensemble donc ça se met en place assez vite.
Thibault — Après il peut y avoir des imprévus. Par exemple, quand tu joues plusieurs jours d’affilée, parfois tu sais pas trop où tu vas atterrir et tu peux être un peu crevé.
Donc mettons que t’arrives dans une loge minuscule avec trois groupes qui cohabitent et là, ça va être compliqué de se reposer et de s’échauffer. Ça ce sont des difficultés qu’il faut réussir à prendre en compte des fois et c’est pas toujours simple (rires) mais ça se fait. Il faut se préparer en amont, se demander : « bon, est-ce que je me trouve un coin dans un bout de cave pour m’échauffer un peu ? », ce qui m’est arrivé il n’y a pas trop longtemps d’ailleurs parce que la loge était blindée.
Aline — Ouais, il faut anticiper et se faire à l’idée que sur toutes les salles et les lieux où tu vas jouer, il n’y aura pas forcément toujours des supers loges — des fois, il n’y a pas de loge du tout. Donc, il faut se préparer avant chaque concert et anticiper ce qu’on peut ramener par soi-même.
Par exemple, nous, on a nos propres lumières. Bastien est obligé de les adapter en fonction de la salle où on est. Sur des grosses salles où il y aura plein de lumières, avec tout un système bien en place, il pourra s’approprier des lights et grossir notre set. Par contre, sur des salles plus petites voire des salles où il n’y a pas de lumières du tout, on utilisera vraiment que nos petites lumières au sol. Donc, voilà, il faut s’adapter et trouver des solutions à chaque fois !
C’est vrai que maintenant, depuis 15 ans, on commence à avoir l’habitude et à s’organiser là-dessus.